25.9.11

exposition "l'huître dans tous ses états"

depuis le 17 septembre et jusqu'au 9 octobre 2011, exposition l'huître dans tous ses états dans la zone ostréicole du varquez, à carantec (finistère nord, près de morlaix)



exposition organisée par les moyens du bord, un centre d'art contemporain associatif situé à morlaix

l'exposition constitue le 2ème volet de la manifestation autour de la baie

nous sommes cinq artistes à y participer : marcel dinahet, christiane geoffroy, brigitte olivier, thomas sabourin et moi-même

extrait du communiqué de presse :

A partir du 17 septembre, l’association Les Moyens du Bord inaugure dans les anciens locaux de la SDAB du Varquez à Carantec, l’exposition L’huître dans tous ses états, second volet du projet Autour de la Baie. L’association souhaite, avec cette nouvelle exposition collective, valoriser d’avantage le patrimoine de la baie de Morlaix, tout en sensibilisant la population - locale ou de passage - à la fragilité de cet environnement. Dans cet ancien atelier de mareyage, cinq artistes plasticiens posent leurs regards sur l’environnement maritime, notamment le monde ostréicole, une profession en perpétuelle remise en question.


extrait du communiqué sur ma participation :

Damien Dion propose un projet complet, Ghost in the Oyster ; une fiction artistique. Une installation, une vidéo et une publication ; trois œuvres qui parlent d'une possible extinction d'une espèce et d'un métier. Des fantômes, des empreintes, et des gestes non productifs qui rappellent que l'ostréiculture est en danger. Tout en traitant d'une probématique actuelle, ce jeune plasticien offre à travers ce travail créé pour l'Huître dans tous ses états, un regard sensible et poétique.
prochainement, des images de mon travail pour cette expo

6.7.11

ouvrage sur la psychogéographie


sortie en juin 2011, aux éditions "les moutons électriques", de l'ouvrage psychogéographie! poétique de l'exploration urbaine
il s'agit de la version française d'un essai de l'anglais merlin coverley, auquel l'éditeur français a ajouté des textes annexes d'auteurs français, parmi lesquels deux textes dont je suis l'auteur : saisir l'essence de l'espace urbain et la nécessité de l'expérience sensible, tous deux publiés sur ce blog mais retravaillés/modifiés/arrangés pour l'occasion

dans cet ouvrage, coverley a eu l'intelligence d'inscrire la psychogéographie dans une histoire plus large, remontant notamment aux figures du flâneur telles que décrites par walter benjamin ou charles baudelaire
de plus, il a su se montrer critique à l'encontre de debord et des situationnistes quant à l'originalité et la pertinence toute relative de leurs concepts, par rapport à d'autres pratiques similaires mais antérieures

à lire donc, et je ne dis pas ça parce que j'y ai participé (mais lisez-le, j'y ai participé)

23.6.11

dnsep

dnsep (diplome national supérieur d'expression plastique, bac+5) obtenu avec mention pour les potentialités et le développement de la recherche.

youpi!

14.4.11

Ville Bis numéro 1

sortie de ville bis n°1, périodique gratuit à parution irrégulière
pour le recevoir, me contacter à diondamien at gmail.fr

ce premier numéro restitue l'événement "ce sont des choses qui arrivent" (cf. note du 1er mars)







concept de ville bis :

La ville est une entité nébuleuse, fascinante et complexe. Si aujourd’hui, près de 80 % de la population mondiale y vit, a-t-on réellement conscience de cet espace qui nous entoure ? Comment mettre à profit nos facultés d’interventions dans le réel pour investir ce territoire vivant et dynamique ?
Ce sont là des questionnements essentiels pour quiconque désire être acteur de son environnement et, de fait, de sa propre vie. Avoir un regard aiguisé sur les choses est le meilleur moyen de comprendre notre monde pour le vivre pleinement et agir sur lui.

Ville Bis est un périodique conçu comme un acte de prodigalité, il est offert
au passant, à l’habitant. Restitution d’actions artistiques éphémères, il permet d’en prolonger les effets tout en questionnant la relation entre cette action et sa documentation au sein d’un support plus pérenne, mobile et reproductible. Il s’opère ainsi un mouvement de va-et-vient entre ce qui a été vu – ou non – dans un espace-temps limité, et sa (re)découverte par le biais d’une publication accessible à un plus grand nombre d’individus, désormais parfaitement conscients d’un événement dont ils furent, peut-être, les spectateurs involontaires.

25.3.11

Roland Sabatier, "Platon dispersé"- chapitre 9



Roland Sabatier
PLATON DISPERSE
Chapitre 9

1.3.11

ce sont des choses qui arrivent





Samedi 11 décembre 2010, une journée comme les autres à Orléans, sur la place du Châtelet... Les gens vont et viennent, ils s'affairent pour noël, passent d'un commerce à l'autre, d'une rue à l'autre. Rien de spécial. Certains vont cependant se demander : « c'est qui cette fille debout sur un banc ? Elle attend quoi ? », puis reprennent leur route. D'autres vont la voir, subitement, sortir un de ces jouets pour enfant qui fait des bulles, et souffler dedans. Elle le rebouche et attend de nouveau, sans rien faire, sans rien dire, pendant que les quelques bulles apparues éclatent progressivement et disparaissent.

Un passant marche sans regarder et manque de piétiner deux dés en bois qui viennent d'être jetés devant lui. Ah, tiens ! Il y a un type assis par terre qui joue aux dés ! Le passant ne s'en rendra surement pas compte, mais ce même joueur, systématiquement, note quelque chose sur un papier après les avoir lancé, et recommence la même opération encore et encore.

Cette femme assise à la terrasse du café, elle, l'aura vu. De même qu'elle a vu un avion en papier lancé d'une fenêtre pour atterrir, de façon chaotique, au sol. Son regard avait déjà été attiré par quelque chose, quelques minutes auparavant, mais c'était passé trop vite. Maintenant c'est le troisième qu'elle voit jaillir de cette fenêtre. Amusant, mais pourquoi ? Elle finira par rentrer chez elle sans s'être rendue compte du lien entre le joueur de dés et l'avion. De même, elle ne prendra pas la peine d'en ramasser un qui, une fois déplié, révèle un plan dessiné à la main de la place du Châtelet, avec l'indication de différents emplacements. Elle se serait peut-être aperçue qu'une des indications renvoie à l'immeuble d'où sont lancés les avions. Et, par déduction, elle aurait vu que les autres indications désignent, eux, les emplacements du joueur de dés et de cette jeune femme debout et immobile sur un banc. Peut-être n'aurait-elle pas compris, cependant, la nature de ce tracé circulaire en tirets, qui fait le tour de la place...

Cet adolescent qui attend depuis dix minutes, bien que ne s'étant aperçu ni des avions, ni du joueur, ni de la fille aux bulles, a remarqué, lui, un étrange manège. Il y a cet homme et cette femme qui font le tour de la place depuis plusieurs minutes déjà. Ils marchent chacun dans la direction opposée de celle de l'autre. Au début il n'y avait prêté aucune attention, mais au fur et à mesure, il est passé d'un « je ne les ai pas déjà vu tout à l'heure ? » à « mais qu'est-ce qu'ils font, ils tournent en rond ou quoi ? ». Il s'apercevra finalement qu'à un endroit fixe, arbitraire, chacun des deux marcheurs s'arrêtent, prennent une photo, et repartent. Leur qualité de photographes ne lui a pas sauté aux yeux tout de suite (il y a beaucoup de monde sur la place, et il n'a pas que ça à faire de regarder les mêmes gens passer encore et encore), mais la nuit tombant, son regard a été attiré par les flashs des appareils. Finalement, son ami arrive. Il quittera la place avec lui et oubliera presque instantanément l'intérêt qu'il a porté à ce manège dont il n'a d'ailleurs pas saisi le sens, son intérêt n'ayant été motivé que par le seul ennui lié à l'attente.

Finalement, peu se rendront compte, ce jour-là, de l'ensemble de ces micro-événements, noyés dans la foule. Encore moins sont ceux qui se seront aperçus qu'ils participaient d'une même proposition.

Des actions indépendantes et simultanées, à l'image de la vie en ville, où plein de choses se passent en même temps, dans une dynamique constante, sans que personne n'ait de vision globale de tout ce qui a lieu partout, à chaque instant.


On peut dès lors s'interroger sur la nature de telles propositions qui, par leur quasi-invisibilité, ne répondent pas aux critères de ce que l'on attend de l'art, à savoir quelque chose de visible et de clairement identifié.

Ce travail participe donc ce que le critique d'art Stephen Wright appelle « un art à faible coefficient de visibilité ». Ce type de pratiques posent problème pour les autorités artistiques et culturelles, ainsi que pour la conception dominante de ce qu'est l'art et de comment il doit être perçu. En effet, un art qui n'est pas visible « échappe à tout contrôle, à toute prescription, à toute réglementation, en somme à toute police ».

L'intérêt de ce genre de pratiques est peut-être là : créer des interstices de liberté, à la fois poétique et politique, qui viennent enrayer la mécanique trop bien huilé des paradigmes de notre société.

(Texte publié dans Ville Bis n°1, 14 avril 2011)





2.2.11

la nécessité de l'expérience sensible

Une analyse qui se veut objective, scientifique ne propose qu'un regard partiel sur la ville. Certes, elle nous renseignera sur le nombre d'habitants au mètre carré, les activités culturelles, sociales et politiques, ou encore les évolutions architecturales, mais que va-t-elle nous dire à propos de la ville vécue par ses habitants, telle qu'ils la ressentent consciemment ou non ? Pour comprendre ce qu'est la ville, une méthode empirique et vécue apporte un nouvel éclairage, plus sensible, qui en fait un territoire vivant, apte à une nouvelle appréhension.

La pratique de l’inventaire poussé jusqu’à l’absurde, chère à Perec, peut être un bon commencement pour appréhender cette nébuleuse. Écrire, lister, dessiner ce qu’on l’on voit à chaque coin de rue, que ce soit insolite, curieux ou banal. Chercher dans le fragment pour révéler le tout. Collecter des détails, des ambiances et par là même, saisir l'insaisissable. Autant de moyens pour chercher ce qui fait et ce qu'est la ville, au-delà de toute tentative de définition. Pour se faire, plusieurs moyens sont à disposition de celui qui se voudrait observateur de la ville, qu'il en soit extérieur ou qu'il y habite : le texte, la photographie, le croquis, la vidéo... autant de possibilités de prise de notes ayant chacune leurs particularités.

Le texte, c'est l'expression fixée de la pensée par le langage, les mots viennent, s'assemblent et font sens. La photographie permet de capter un angle de vue précis de la réalité et la restitue avec une relative exactitude. La vidéo quant à elle augmente cette restitution via le son et l'écoulement du temps. Le croquis enfin, perd en exactitude ce qu'il gagne en sensibilité, de plus son pouvoir de synthèse révèle l'essentiel en quelques traits, inscrit uniquement ce qu'on souhaite mettre en évidence et laisse de côté le superflu. Cette pratique de la prise de notes permet au final de baliser un peu le terrain pour ne pas s'égarer. Certains artistes ont quant à eux expérimenté la ville avec leur propre corps, comme Valie Export qui, dans les années 1970, se sert de son corps pour épouser les contours d'éléments urbains (escaliers, coin de rue...) pour en révéler les détails.

Une autre pratique inhérente à la collecte d'information est la marche. On se promène, on déambule à la recherche d'éléments marquants, bien qu'ordinaires, on s'arrête, on repart, on tourne dans cette rue... ou plutôt non, dans celle-là. On se laisse porter, attiré par telle ou telle ambiance. Dans les années 1950, Gil Wolman et Guy Debord développent les notions de dérive, cette « technique du passage hâtif à travers des ambiances variées », et de « psychogéographie », définies comme l'étude « des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus », concepts à l'origine de la création, en 1957, de l'Internationale Situationniste.

Véritable entreprise de « désœuvrement », la dérive faire art, non par le biais d'objets concrets, finis et exposés, mais par une attitude, un comportement, une façon de vivre et d'expérimenter la réalité de manière plus intense. La dérive, la marche apparaissent ici comme outils poétiques de construction de situations ouvertes à travers l'espace urbain afin d'en refaire la découverte, de rencontrer de manière fugitive diverses atmosphères. Le but étant de se réapproprier la cité en s'opposant à la rationalisation de la métropole moderne, en sortant du circuit normalisé et imposé du déplacement urbain pour un déplacement chaotique, improvisé et donc hors de contrôle.

Cette pratique de la dérive se posait comme critique virulente de l'urbanisme et de l'architecture fonctionnaliste de son temps et aura une influence durable sur tout ceux qui, artistes ou architectes, ont cherché à comprendre la ville par le biais de l'expérience sensible. Ainsi, puisant ses sources dans les thèses situationnistes, le collectif italien Stalker organise depuis 1995 des dérives urbaines à travers les zones abandonnées des villes comme les friches, les terrains vagues ou les entrepôts en ruine. Pour eux, la ville contemporaine n’est pas simplement une surface quadrillée, elle comprend des zones d’ombre, des aires marginales et abandonnées. Ces « territoires actuels », comme ils les appellent, ont un devenir autre, un devenir à imaginer. Les parcours qu’ils effectuent, leurs traversées, permettent de connaître le territoire par l’expérience directe et par la marche. Comme le souligne Thierry Davila, auteur de l'ouvrage Marcher, créer, « la marche est une avancée vers l’inconnu, l’inexpérimenté, l’inhabité ; la marche suit le cours de l’expérience ». En d’autres termes, l’expérience appelle toujours au devant d’elle-même d’autres expériences.

« Marcher : outil critique pour découvrir l’inconscient de la ville, pour connaître un territoire et ensuite l’interpréter symboliquement, pour faire un dessin d’un lieu en faisant évidentes les frontières intérieures de la ville et donc ses zones pour faire de l’architecture et du paysage. Poètes, philosophes et artistes ont réactivé la marche : ils peuvent voir l’inexistant et en sortir quelque chose. (...) Stalker invite tous les citoyens à la transurbance, à retrouver le voyage et la découverte à l’intérieur de la ville, à être pour une fois voyageurs et pas simplement touristes, à retrouver les faits réels de la ville, à ne pas réduire ses horizons à la sélection des guides touristiques, à voir le potentiel du quotidien urbain. »

Gilles A. Tiberghien, extrait du texte La ville nomade / Transurbance, preface au livre Walkscapes de Francesco Careri, éd. G. Gili, 2002

Il faut donc questionner cette pratique de la marche, de l'itinéraire. L'important n'est ni le départ ni l'arrivée mais le chemin parcouru. Varier les itinéraires, chercher les chemins tortueux, détournés, jusqu'à se perdre, ressentir l'ivresse de l'incertitude, découvrir des choses qu'on n'avait jamais vu avant, se surprendre... Épuiser le trajet autant que ses jambes, à l'instar du poète Jacques Réda parcourant Paris en quête des 135 médaillons de bronze de l'Hommage à Arago, disséminés sur le sol parisien par l'artiste Jan Dibbets, qui se superposent au tracé invisible du Méridien de Paris, ou encore Francis Alÿs qui fait de la marche son outil privilégié pour questionner l'espace urbain et révéler ses singularités.

Ainsi, depuis plus d'un demi-siècle, de nombreux artistes se sont penchés sur la question de l'espace urbain et de sa réappropriation. Dès 1950, le lettriste Isidore Isou contestait l'architecture fonctionnaliste de son époque et souhaitait la transformation des éléments de construction selon la volonté des habitants : « l'espace urbain deviendra l'œuvre des usagers eux-mêmes ou bien il deviendra inacceptable ». Ses théories influenceront d'ailleurs fortement les thèses de Wolman et Debord. Poursuivant le rêve d'une réappropriation subjective de l'espace urbain, l'artiste et architecte italien Ugo La Pietra fait de la ville son objet privilégié d'expérimentations. L'un de ses projets les plus emblématiques, troublant de simplicité et d'efficacité, est son Commutateur, un dispositif à la forme élémentaire : deux planches de bois reliées en leurs sommets par des gonds et formant un angle modulable. L'utilisateur est invité à s'étendre le long d'un des pans inclinés afin d'observer le monde « sous un autre angle ». En déplaçant son centre de gravité, le corps accède à de nouvelles perceptions et permet à l'utilisateur de se ré-approprier symboliquement l'espace urbain. La Pietra définira lui-même cet objet comme un « instrument de décryptage et de proposition » apte à donner une lecture plus profonde du territoire.


25.1.11

saisir l'essence de l'espace urbain

Appréhender la ville et révéler son essence est primordial. Cela permet d'avoir une meilleure compréhension de ce qui nous préoccupe. Devant l'insuffisance des définitions théoriques qui, bien qu'indispensables, n'envisagent jamais la ville dans sa globalité, une approche plus sensible n'est pas dépourvue d'intérêt, malgré tous les risques inhérents à la subjectivité.

La méthode de Perec pour sa Tentative consiste, par le biais d'une démarche que l'on peut qualifier de scientifique (l'usage de l'inventaire), à vouloir capter l'essence du lieu choisi :

« Un grand nombre, sinon la plupart, de ces choses ont été décrites, inventoriées, photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l'on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n'a pas d'importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages. »

Le fait de saisir chaque détail de lieu et d'action relève d'une volonté de trouver, au-delà des apparences, ce qui fait la particularité de ce lieu, ce qui fait qu'il est ce qu'il est. Nous pouvons trouver une autre approche de cette quête de l'essence urbaine dans le film de Jacques Tati PlayTime (1964-1967). Mais alors que Perec tend, dans son inventaire systématique, à révéler entre les lignes une certaine poésie cachée inhérente au lieu, Tati, lui, offre une perception négative de la ville, il en fait un lieu déshumanisé, géométrique, étouffant, pour ne pas dire avilissant. Il s'agit surtout d'une vision critique axée sur le modernisme, voir l'ultra-modernisme, d'une conception de ville, plus que de la ville en soi.

« Ce que dit Tati de la ville moderne, il faut l’entendre dans toute sa force politique, voire pamphlétaire (...). D’abord, le jeu des reflets et de la transparence, matérialisé par les innombrables vitres que l’architecture moderne se plait à utiliser jusqu’à l’overdose. Une vitre a cette curieuse propriété d’offrir à la vue un champ / contre-champ ; on y voit à travers tout en percevant son propre reflet. D’un point de vue politico-symbolique, elle a donc une double fonction. D’une part, c’est un instrument qui permet de tout voir, une force coercitive exercée sur des individus qui ne peuvent se soustraire au regard d’autrui (...) Voir la longue scène chez le camarade de régiment de Mr Hulot, qui se trouve être le voisin du fuyant Giffard : à force d’être visibles depuis la rue, les comportements tendent à être normés, les gestes répétitifs et mécaniques. Comme à l’usine. D’autre part, la vitre, en nous renvoyant sans cesse notre reflet transparent, participe d’une illusion propre à la modernité – au sens où celle-ci n’aurait de cesse de nous éloigner de nos sensations primitives. Parmi les innombrables gags basés sur ces reflets deux d’entre eux retiennent l’attention. D’abord celui, magnifique, où Hulot confond Giffard (derrière lui) et son reflet (devant lui), et se lance à la poursuite de l’insaisissable chimère. Ensuite, ce motif récurrent des monuments parisiens se réfléchissant, en une vue impossible, sur les portes des immeubles. Les deux disent la même chose : qu’à l’image de la fameuse caverne de Platon, les hommes vivent dans un ordre des choses factice, prenant pour la réalité ce qui n’en est qu’une pâle copie( …). L’autre thème développé par le film (...) est celui du totalitarisme. C’est moins l’architecture qui est concernée (...), qu’une série de comportements liés au consumérisme galopant. Le spectre de la déportation veille dans ces nombreuses situations où les déplacements des individus se font sous la forme de marches forcées : Hulot, notamment au début du film, ne se retrouve jamais là où il voulait se rendre. Il semble absorbé par le flux incessant des touristes avançant à petits pas serrés comme s’ils étaient sous la menace de quelque bourreau... »

Jean-Philippe Tessé, extrait de Analyse de PlayTime, sur le site web Objectif Cinéma (objectif-cinema.com).

Le personnage de M. Hulot est ici involontairement subversif en ce qu'il vient, par ses gaffes et son comportement désordonné, enrayer le dispositif avilissant qui l'entoure. Il sait transformer une ville froide et sans âme en véritable terrain de jeu poétique. De même, lorsque vers la fin du film, les gens se voient désinhibés par les effets de l'alcool et de la nuit, ils se réapproprient les lieux de manière festive et spontanée, pendant que les éléments du système, du « décor », dysfonctionnent les uns après les autres jusqu'à la panne. Tati n'essaie-t-il pas de nous montrer ici que la véritable essence de la ville, ce sont les gens ?

Une ville sans habitants n'est pas une ville, tout au plus une ville morte. Ce sont les citadins qui font la ville, qui la font vivre. Un exemple frappant, justement, est le film Dogville de Lars Von Trier, où les bâtiments, les habitations, réduites à de simples marquages au sol, permettent de mettre l'accent sur la vie et les comportements de la communauté qui elle seule donne son âme à la ville, pour le meilleur comme pour le pire.

20.1.11

croquis contextualisés

croquis de lieu intégré au lieu, et laissé là










8.1.11

la ville, un ensemble de définitions et de points de vue

Le mot ville renvoie à une longue histoire et sa signification a beaucoup évolué depuis ses origines. Étymologiquement, ville vient du latin villa, terme associé à l'univers champêtre et renvoyant à la maison rurale, la ferme, puis plus tard au lieu de villégiature, la maison de campagne. Ce n'est qu'à la fin du moyen âge que le mot ville va peu à peu s'imposer dans son acceptation moderne, celle d'une agglomération urbaine. Le terme urbain, qui vient lui-même du latin urbus, employé pour désigner un ensemble de maisons et d'édifices, est d'abord utilisé pour nommer l'habitant de la ville, mais sera également associé à l'urbanité, c'est-à-dire l'ensemble des « bonnes moeurs » que sont la politesse, le bon ton et le langage spirituel. De même, le latin civitas, qui envisage la ville comme entité politique, ensemble de citoyens, entretient des rapports étroits avec civilitas, qui désigne la qualité de citoyen ainsi que tout ce qui concerne la sociabilité, l'affabilité, bref, le « bien vivre ensemble ». Quiconque prétend vouloir faire partie de la civitas se doit de maîtriser les règles de civilité. Et de ce concept de civilité naîtra celle de civilisation : « la civilisation est l'adoucissement des moeurs, l'urbanité, la politesse, et les connaissances répandues de manière que les bienséances y soient observées et y tiennent lieu de lois de détail » (Mirabeau, cité par E. Benveniste in Problèmes de linguistique générale, éd. Gallimard, 1995). Quant au grec polis, il désigne autant la ville que l'espace propre à l'exercice de la politique, qui est l'art de régler les problèmes de la vie collective par la parole et l'action. La ville est donc une notion complexe qui revêt de multiples facettes, matérielles, sociales, politiques, géographiques, spirituelles...

Cette complexité est au cœur du projet Glooscap de l'artiste français Alain Bublex, amorcé en 1985. Le point de départ de ce projet fut le dessin d’une métropole américaine vue d’avion réalisé par l’artiste. Ce dessin va l'amener peu à peu à créer de toutes pièces une ville non pas utopique mais identique à toute métropole réelle, donc dotée d’une histoire : « Rapidement une convention s’installe: cette ville imaginaire ne doit pas être utopique, elle ne doit rien démontrer. Elle n’est pas une solution mais une imitation. Il s’agit d’imaginer une nouvelle, une autre ville, cohérente et incohérente comme toute ville façonnée par l’histoire. » *1

Glooscap sera donc une ville située au sud-ouest du Canada, près de la frontière américaine. A partir de là, Bublex va s’attacher à fournir des documents fictifs mais d’aspect authentique de l’existence de cette ville, à créer une archéologie simulée dans laquelle le spectateur deviendra une sorte de touriste se promenant à travers Glooscap. Alain Bublex crée l’histoire de la métropole depuis le XVIIe siècle jusqu'à aujourd'hui. Il en fait le premier établissement européen au Canada, retraçant par des documents l’arrivée des premiers pionniers et les guerres coloniales. Il retravaille aussi d’anciennes photographies pour créer de fausses archives et montre des photos du paysage tel qu’il est aujourd’hui.

L’artiste traite de tous les aspects de Glooscap, en étudiant le climat et les paysages, en montrant par des cartes l’évolution topographique du site et la création de nouveaux districts. Une vidéo prise à travers le pare-brise d’une voiture se présente au spectateur comme un témoignage, un souvenir du périple de l’artiste au travers de cette région à la fois imaginaire et réelle.

Car Glooscap présente toutefois un lien avec le réel : l’artiste est allé, en 1991, effectuer un relevé cartographique de la baie, et a effectué, en 1994, un séjour de quatre mois en Amérique du Nord pour y faire un inventaire des formes urbaines. Ce qui compte aux yeux de l’artiste est le fait que pour lui, « elle existe autant que n’importe quelle ville dans laquelle je ne me suis pas rendu.»*2

Ainsi, Alain Bublex a utilisé la photographie, créé des documents de planification urbaine, des documents historiques, géographiques, sociologiques... Par l'accumulation de ces documents, l'artiste cherche, en tentant de la recréer sous tous ses aspects, à comprendre ce qu'est la ville, qui se présente comme un tissu complexe dont les définitions varient selon le point de vue ou l'on se place.

Alors n'est-il donc pas nécessaire de faire un pas de côté pour définir la ville autrement ?

On peut se demander si il n'existe pas d'autres façons de l'appréhender, celle de l'écrivain, celle du poète ? C'est en tout cas ce que sous-entend Georges Perec dans son ouvrage Espèces d'espaces, à propos de la ville :

« Chasser toute idée préconçue. Cesser de penser en termes tout préparés, oublier ce qu'ont dit les urbanistes et les sociologues. »

C'est ce que Perec va développer dans Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, récit dans lequel il cherche, pendant trois jours, à décrire de la manière la plus précise possible – jusqu'à l'absurde – la place Saint-Sulpice dans ses moindres détails.