27.11.09

couverture pour la rue M...


essai de couverture
le texte dans son intégralité, lisible
texte comme postulat de base, matière à état brut

espèces d'espace

extrait d'Espèces d'espace, de georges perec

"J'ai plusieurs fois essayé de penser à un appartement dans lequel il y aurait une pièce inutile, absolument et délibérément inutile. Ça n'aurait pas été un débarras, ça n'aurait pas été une chambre supplémentaire, ni un couloir, ni un cagibi, ou un recoin. Ç'aurait été un espace sans fonction. Ça n'aurait servi à rien, ça n'aurait renvoyé à rien.

Il m'a été impossible, en dépit de mes efforts, de suivre cette pensée, cette image, jusqu'au bout. Le langage lui-même, me semble-t-il, s'est avéré inapte à décrire ce rien, ce vide, comme si l'on ne pouvait parler que de ce qui est plein, utile, et fonctionnel.

Un espace sans fonction. Non pas "sans fonction précise", mais précisément sans fonction ; non pas pluri-fonctionnel (cela, tout le monde sait le faire), mais a-fonctionnel. Ça n'aurait évidemment pas été un espace uniquement destiné à "libérer" les autres (fourre-tout, placard, penderie, rangement, etc.) mais un espace, je le répète, qui n'aurait servi à rien.

Comment penser le rien ? Comment penser le rien sans automatiquement mettre quelque chose autour de ce rien, ce qui en fait un trou, dans lequel on va s'empresser de mettre quelque chose, une pratique, une fonction, un destin, un regard, un besoin, un manque, un surplus ?

J'ai essayé de suivre avec docilité cette idée molle. J'ai rencontré beaucoup d'espaces inutilisés. Mais je ne voulais ni de l'inutilisable, ni de l'inutilisé, mais de l'inutile. Comment chasser la nécessité ? Je me suis imaginé que j'habitais un appartement immense, tellement immense que je ne parvenais jamais à me rappeler combien il y avait de pièces (je l'avais su, jadis, mais je l'avais oublié, et je savais que j'étais déjà trop vieux pour recommencer un dénombrement aussi compliqué) : toutes les pièces, sauf une, serviraient à quelque chose. Le tout était de trouver la dernière.

J'ai pensé au vieux Prince Bolkonski qui, lorsque le sort de son fils l'inquiète, cherche en vain pendant toute la nuit, de chambre en chambre, un flambeau à la main, suivi de son serviteur Tikhone portant des couvertures de fourrure, le lit où il trouvera enfin le sommeil. J'ai pensé à un roman de science-fiction dans lequel la notion même d'habitat aurait disparu ; j'ai pensé à une nouvelle de Borges (L'Immortel) dans laquelle des hommes que la nécessité de vivre et de mourir n'habite plus ont construit des palais en ruine et des escaliers inutilisables ; j'ai pensé à des gravures d'Escher et à des tableaux de Magritte ; j'ai pensé à une gigantesque boîte de Skinner : une chambre entièrement tendue de noir, un unique bouton sur un des murs : en appuyant sur le bouton , on fait apparaître, pendant un bref instant, quelque chose comme une croix de Malte grise, sur fond blanc ; j'ai pensé aux grandes Pyramides et aux intérieurs d'église de Saenredam; j'ai pensé à quelque chose de japonais ; j'ai pensé au vague souvenir que j'avais d'un texte d'Heissenbüttel dans lequel le narrateur découvre une pièce sans portes ni fenêtres ; j'ai pensé à des rêves que j'avais faits sur ce même thème, découvrant dans mon propre appartement une pièce que je ne connaissais pas."

20.11.09

la rue M... (nouvelle)

nouvelle
expérience de lecture
mise en doute du récit, de la fiction et de sa cohérence
aller du lisible au visible
notion de labyrinthe
le texte n'est qu'un agencement de phrases
les phrases ne sont que des agencements de mots
les mots ne sont que des agencements de lettres
les lettres ne sont que des éléments (typo-)graphiques
interroger la nature intrinsèque du livre par le biais de la fiction

et maintenant, la nouvelle en question :


LA RUE M...

Vous cherchez la rue M...
Elle est là, vous le savez. Pas plus tard qu'hier (ou peut-être avant-hier), vous y étiez. Vous avez rendez-vous. Au 18. Où est-elle ?
Vous êtes sûr que c'est ici. Prendre la grande avenue (elle est déserte), tourner à gauche dans la ruelle, arriver sur une place (il y a une fontaine), prendre à droite, vous y êtes. Non.
Il n'y a pas de rue à droite, juste une rangée d'immeubles. C'était pourtant bien là, vous en êtes certain. Vous en mettriez votre main à couper. Une dame. Foulard avec motifs floraux autour de la tête. Dans les 75 ans. Grand imperméable couleur anthracite. Mi-bas couleur chair, petites chaussures à talons. Lunettes à double-foyer. Elle tient dans sa main droite un sac en plastique contenant une bouteille de lait. Excusez-moi, je cherche la rue M..., c'est bien par-ici, n'est-ce pas ? Ça ne lui dit rien. Ça fait pourtant plus de trente ans qu'elle vit dans le quartier, il n'y a pas de rue M..., vous devez faire erreur. Vous savez que c'est faux. Est-ce qu'elle ment ? Elle n'aurait aucune raison valable. Vous essayez de vous souvenir. La rue se trouve entre la petite épicerie et le tabac-presse. Il n'y a rien entre. Juste un mur en béton. Vous n'arrivez pas à y croire. Vous le touchez, comme pour vous assurer de son existence. Ce n'est pas du béton, c'est du papier peint. Un même motif répété. Vous retournez vers le rocking-chair, le parquet craque sous vos pas. Vous allez vous asseoir. Vous vous asseyez. Vous êtes assis. Vous étiez assis. Maintenant vous êtes debout à la fenêtre. Vous regardez la ville. Les rues, les avenues, les quartiers, les immeubles semblent s'agencer selon des nécessités qui leur sont propres, par pur souci de rythmes, de variations, de composition. Dans deux phrases, le téléphone va sonner. Vous attendez. Le téléphone sonne. Allo. Rendez-vous dans une heure au 18 de la rue M... Aucun problème. Il n'y a pas de rue M... Peut-être êtes-vous devenu fou. Juste un mur en béton. Vous contournez le rocking-chair. Vous contournez la fontaine. Vous quittez la pièce. Tout est fermé, même le tabac-presse. Il n'y a pas d'eau qui coule à cette époque de l'année. C'est surement dans un autre quartier. Tout se ressemble ici. Il faut trouver un plan de la ville. Aucun problème. Vous raccrochez le combiné. Vous ne voulez pas être en retard au rendez-vous. C'est dans le centre-ville. Vous marchez, vous prenez le bus, la voiture, à moins que ce ne soit le vélo. Non. Vous n'aimez pas le vélo. De toute façon vous n'en avez pas. Qu'importe. Vous vous trouvez dans le centre-ville. Prendre la grande avenue. Il y a une manifestation. Environs 357 personnes. Vous n'en saisissez pas le but. Vous n'arrivez pas à lire les banderoles. Tourner à gauche dans la ruelle, arriver sur une place (il y a une fontaine), prendre à droite, vous y êtes. La rue part de la place, elle est située entre une petite épicerie et un tabac-presse. Vous êtes dans la rue M... Il pleut. Il y a des cartons dans la rue. Vides. Un chat de gouttière. Il est roux et tigré. Une porte s'ouvre et une dame en sort avec un bol de lait. Elle s'accroupit péniblement. Minou minou. Le chat arrive en trottinant, la queue en l'air. Il lape le lait. La dame porte un foulard avec motifs floraux sur la tête. Dans les 75 ans. Grand imperméable couleur anthracite. Mi-bas couleur chair, petites chaussures à talons. Pas cette fois. Elle porte un vieux peignoir rosâtre et des pantoufles à carreaux. Elle a des bigoudis dans les cheveux. Certains sont verts, d'autres bleus. Elle ne porte pas de bigoudis. Elle n'en a d'ailleurs jamais mis. Ses lunettes à double-foyer glisse régulièrement le long de son nez, si bien qu'elle est obligée, tout aussi régulièrement, de les réajuster en exerçant une légère pression de l'index sur la zone située entre les deux verres. Le chat est parti, la vieille dame aussi. Vous êtes seul dans la rue. 12, 14, 16, 18, vous y êtes. Vous avez sonné, on vous a ouvert. Il n'y a personne dans l'immeuble, la porte est verrouillée. D'ailleurs, personne n'est venu vous ouvrir. Vous vous êtes peut-être trompé dans la date. De toute manière ça n'a pas d'importance, vous n'arrivez pas à trouver la rue. Le plan est incompréhensible. Vous êtes ici. Bon. La grande avenue est à nouveau déserte. Il y a plein de papiers par-terre, des tracts. Il s'agit des restes de la manifestation. Le chat roux et tigré semble jouer avec certains bouts de papier, sa patte antérieure gauche tente d'attraper un de ces bouts. Dès qu'il se rapproche, le morceau s'envole et le chat lui court après. Vous ramassez un des morceaux de tract. Il est de couleur jaune, un jaune fluorescent. La pluie a quasiment effacé tout ce qui était imprimé. Vous arrivez cependant à déchiffrer quelques mots, écrits en capitales : CELA NE PEUT PLUS DURER. Soit. Vous êtes chez vous, assis dans votre rocking-chair. Il est près de la fenêtre. La ville se rapproche et s'éloigne au rythme de vos balancements.

13.11.09

escalade


passage-piéton
escalade
performance
ré-appropriation d'un élément de signalétique

12.11.09

peinture-promenade


peinture-promenade
roland sabatier
1966
trajets comme matière pour une oeuvre à imaginer
déambulation
élaborations mentales

5.11.09

ugo la pietra


artiste, architecte, designer italien
né en 1938
critique radicale du fonctionnalisme
système déséquilibrant
étendre notre champ de perception
rendre actif le spectateur
ville comme lieu d'expériences
détournement/ré-interprétation de l'espace urbain
habiter la ville c'est être partout chez soi

3.11.09

théorie de la dérive


dérive
psychogéographie
debord

intéressant
...

"Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent.
(...)
un quartier urbain n’est pas déterminé seulement par les facteurs géographiques et économiques mais par la représentation que ses habitants et ceux des autres quartiers en ont...
(...)
le caractère principalement urbain de la dérive, au contact des centres de possibilités et de significations que sont les grandes villes transformées par l’industrie, répondrait plutôt à la phrase de Marx : "Les hommes ne peuvent rien voir autour d’eux qui ne soit leur visage, tout parle d’eux-mêmes. Leur paysage même est animé."
(...)
Le sujet est prié de se rendre seul à une heure qui est précisée dans un endroit qu’on lui fixe. Il est affranchi des pénibles obligations du rendez-vous ordinaire, puisqu’il n’a personne à attendre. Cependant ce "rendez-vous possible" l’ayant mené à l’improviste en un lieu qu’il peut connaître ou ignorer, il en observe les alentours. On a pu en même temps donner au même endroit un "autre rendez-vous possible" à quelqu’un dont il ne peut prévoir l’identité. Il peut même ne l’avoir jamais vu, ce qui incite à lier conversation avec divers passants. Il peut ne rencontrer personne, ou même rencontrer par hasard celui qui a fixé le "rendez-vous possible".
(...)
Au-delà de la reconnaissance d’unités d’ambiances, de leurs composantes principales et de leur localisation spatiale, on perçoit les axes principaux de passage, leurs sorties et leurs défenses.
(...)
Dans l’architecture même, le goût de la dérive porte à préconiser toutes sortes de nouvelles formes du labyrinthe, que les possibilités modernes de construction favorisent. Ainsi la presse signalait en mars 1955 la construction à New York d’un immeuble où l’on peut voir les premiers signes d’une occasion de dérive à l’intérieur d’un appartement...
(...)
Un jour, on construira des villes pour dériver."

extraits de La théorie de la dérive, de Guy-Ernest Debord, publié dans Les Lèvres nues n°9, décembre 1956.