Quatre mots qui dérangent : travailler, gagner, plus, moins. L'installation de l'artiste chinoise Ko Siu Lan, dont le vernissage était programmé vendredi, a été démontée quelques heures après leur affichage sur la façade de l'École des Beaux- Arts, quai Malaquais. « Censure politique », dénonce l'artiste.
« Un week-end de sept jours », une exposition collective à la connotation délibérément utopique, devait présenter du 13 au 21 février des œuvres d'étudiants du Royal College of Art de Londres, et de Lasalle College of the Arts de Singapour.
Ko Siu Lan, qui connaît bien les Beaux-Arts de Paris pour y avoir passé deux ans en résidence, avait imaginé deux bannières réversibles de 7 mètres de haut sur 1,2 m de large, visibles depuis les quais de la Seine et incluant simplement quatre mots. Selon le chemin que l'on empruntait, on pouvait lire les mots ci-dessous.
* Gagner Plus Travailler Moins
* Travailler Plus Gagner Moins
* Travailler Moins Gagner Moins
* Travailler Plus Gagner Plus
* Plus Gagner Plus Travailler
* Moins Gagner Plus Travailler
* Moins Travailler Moins Gagner
* Plus Travailler Plus Gagner
* Plus Gagner Moins Travailler
* Plus Travailler Moins Gagner
L'artiste explique avoir cherché à évoquer « à la fois la question du travail et de la propagande, dans un esprit universel » et s'être « bien sûr inspirée du slogan du candidat Sarkozy. »
Œuvre dérangeante vis-à-vis des ministères ?
Mercredi à 10h30, comme prévu, les bannières ont été montées sur la façade située à deux pas de l'actuelle résidence de Jacques Chirac, quai Voltaire. Mais dans l'après-midi, elles ont été retirées alors que l'artiste n'a été officiellement avertie que par un mail reçu dans la soirée de sa commissaire d'exposition, Clare Carolin, du Royal College of Art de Londres.
« Le pire est que tout était calé depuis un an, le catalogue imprimé, ils n'ont pas découvert ça hier ».
D'après les informations que nous avons recueillies, la direction de l'école aurait jugé cette œuvre trop dérangeante et aurait argué qu'elle avait choqué certains membres du personnel de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts et du ministère de l'Éducation.
Le directeur aurait ajouté que la période était particulièrement sensible alors que l'école était en train de renouveler sa convention de financement avec les ministères.
À la commissaire d'exposition Clare Carolin, on a simplement proposé de rapatrier les bannières à l'intérieur de l'école, mais elle ne pouvait prendre une telle décision sans prévenir l'artiste. Elle n'a pas eu le temps de le faire puisque lorsqu'elle est sortie de la réunion, l'œuvre était déjà démontée.
« Le climat conservateur de la France de Sarkozy »
On imagine que pour une Chinoise, même élevée à Hong-Kong, une telle censure au pays des droits de l'homme soit à peine croyable. Ko Siu Lan :
« Je trouve dur de découvrir que cette forme de censure brutale puisse se produire en France. Il n'y a même pas de place pour la discussion, tout se passe dans mon dos et celui de la commissaire. Encore plus dur que cela se produise dans la plus ancienne école d'art française, où l'on est supposé encourager l'expression la plus libre des artistes.
Dur de croire encore que les enjeux économiques et politiques l'emportent sur toute autre préoccupation. Cela montre à mes yeux dans quel climat conservateur est tombée la France de Sarkozy, et à quel point celui-ci fait peur.
Je demande que mon travail soit remis sur la façade et que l'école donne une explication officielle à cette censure et s'excuse. Je réfléchis aussi à une éventuelle action judiciaire. »
« Atteinte à la neutralité du service public »
L'Ecole des Beaux-arts de Paris, dans un communiqué, a déclaré que l'artiste avait accroché son oeuvre à l'extérieur « sans que la direction de l'établissement en soit informée » :
« Sans titre, sans nom d'auteur, sans mention relative à l'exposition, le caractère de l'oeuvre se réfère explicitement à un contexte politique. Son auteur a souhaité, par la présentation sur la voie publique, utiliser spectaculairement comme médiation de son message un bâtiment de l'Etat voué à l'enseignement », a poursuivi l'école.
La direction de l'école a considéré que « cette présentation non concertée de l'oeuvre, sans explicitation à l'attention du public, pouvait constituer une atteinte à la neutralité du service public et instrumentaliser l'établissement », selon le communiqué.
En réaction, Ko Siu Lan invite tous ceux qui la soutiennent à venir ce vendredi devant l'école, à l'heure du vernissage (vers 18h) :
« Apportez avec vous deux bannières, imprimez-les au format que vous voulez, et faites votre propre version de ces bannières avec les 4 mots : Gagner, Travailler, Moins, Plus (en les collant dos-à-dos). Nous aurons une mer de bannières dehors, dedans, dessus, dessous les Beaux-arts.
12.2.10
vu sur rue89 : une artiste censurée par pression politique
je ne ferai aucun commentaires, je ne voudrais pas me faire embarquer par la police
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